vendredi 15 août 2014

Retour dans les Balkans avec Guillaume Lejean



Les lettres, mémoires, rapports de mission issus des archives et articles parus dans des publications spécialisées telles que le Bulletin de la Société de géographie ou destinées à un large public (la Revue des deux mondes, le Magasin pittoresque…) réunis pour la première fois dans l’épais volume qui vient de paraître aux éditions Non Lieu rendent enfin disponibles les travaux de Guillaume Lejean (1824-1871), un auteur qui a connu son heure de gloire du temps de Napoléon III et qui demeure une référence pour les géographes et les historiens[1]. L'introduction est signée par la biographe du voyageur-géographe, le choix des matériaux, leur présentation, la postface et l'appareil de notes, très fourni, par l'historien Bernard Lory. Il s’agit d’un travail d’édition remarquable à tout point de vue. Pour rendre accessible une œuvre aussi disparate, rédigée dans un langage dont certaines tournures peuvent surprendre de nos jours et surtout identifier des faits, rectifier des erreurs, rendre intelligibles des ethnonymes, toponymes et autres anthroponymes orthographiés à l’ancienne ou sortis d’usage depuis longtemps, pour contextualiser certaines affirmations, il fallait faire des recherches ardues dont on imagine difficilement de l’extérieur l’étendue et le caractère fastidieux. Pour une publication papier (et pas seulement d’ailleurs), seule une édition rigoureusement annotée présente un réel intérêt à l’heure où tant de documents sont disponibles à l’état brut sur la Toile, et donnent lieu à des interprétations souvent tendancieuses ou tout simplement délirantes sans rapport avec le contexte dans lequel ils ont été rédigés.

Comme chez nombre de ses contemporains, les formules méprisantes et infantilisantes, les jugements à l’emporte-pièce énoncés sur un ton de supériorité à propos des diverses races des Balkans ne manquent pas dans les écrits de Lejean. Prenons les Valaques, ceux du nord du Danube, les Roumains, à ne pas confondre avec ceux de Macédoine, d’Epire et de Thessalie, les Aroumains qu’il appelle Valaques du Sud ou encore Zinzares (p. 372). Dans une lettre écrite en juin 1857, à la veille de la naissance, grâce notamment à l’appui de Napoléon III, de l’Etat moderne roumain (janvier 1859), il en dresse un tableau haut en couleur assez déroutant à premier abord :

“Quelle singulière nation ! Des enfants qui se croient des hommes, mais du moins des enfants sympathiques.  Les Serbes, que j’admire bien davantage, sont dignes mais un peu roides. Les Roumains sont les Français du Danube, avec une certaine ingénuité en plus ; seulement ils tiennent à ne pas être ingénus. Leur cordialité est charmante et leur dévouement sincère. Le sentiment ne leur manque pas ; c’est la solidité, le sérieux, la moralité qui leur manquent. Je leur dis quelquefois : Vous êtes des enfants, et déjà vous êtes vieux et gangrenés jusqu’à la moelle. Ils me répondent : C’est le fait des phanariotes. Eh ! Morbleu, laissez-là les phanariotes, et corrigez-vous ! J’aime quelques individus mais pas la masse. Il m’a paru que les paysans valent mieux, si affaissés qu’ils soient ; quant à l’aristocratie c’est une étable d’Augias[2]. Entrez dans un salon, et vous pouvez dire tout d’abord : neuf sur dix de ces hommes sont des voleurs ; neuf sur dix de ces femmes sont des… ou le seront. Une frivolité, une légèreté, une paresse, un luxe inouïs, et, pour suffire à des dépenses folles, des ressources honteuses ou l’exploitation impitoyable du klakasch (paysan corvéable). Il est vrai que la boyarie confiant aux Tziganes  bohémiens l’éducation de ses enfants et la conduite de ses voitures, on voit d’où sort chaque génération.” (P. 268.)

Les Valaques ne sont évidemment pas les seuls à avoir droit à de tels raccourcis désobligeants, et les généralisations sont d’un goût douteux, même quand elles se veulent bienveillantes comme dans le cas des pacifiques laboureurs bulgares et des vaillants guerriers serbes.

Pour être déplaisante rétrospectivement, la rhétorique centrée sur la psychologie des peuples qui abonde dans les écrits des voyageurs, géographes et diplomates occidentaux parcourant le Sud-Est européen ne devrait pas nous faire perdre de vue le fait que c’est à ces écrits que nous devons pour l’essentiel les maigres connaissances que nous détenons sur la région et ses habitants. En critiquant le « balkanisme » forgé de l’extérieur, on devrait rappeler le silence qui a longtemps prévalu dans ces pays à propos de leur histoire, de la vie quotidienne, des coutumes... Les raisons d’un tel mutisme sont complexes, et le poids de l’administration ottomane est sans doute pour beaucoup, mais ce n’est pas une raison d’en faire abstraction. C’est le reproche que je ferais à Maria Todorova, auteure d’un ouvrage par ailleurs incontournable dont on ne peut que saluer la traduction en français[3]. L’arrivée des Etats-nations allait changer la donne, en favorisant l’émergence sur place d’intellectuels et d’experts souvent de valeur et d’un public désireux de connaître l’histoire et les réalités de son pays. Dans un sens, on ne peut que s’en féliciter, tout en déplorant l’usage nationaliste de l’histoire forgée dans ces conditions. Le peu d’attention accordé à l’histoire et aux réalités communes de la région constitue une autre conséquence de cette évolution, plus rarement prise en compte. Aussi, dès lors qu’il s’agit de l’histoire de l’ensemble de la région, surtout pendant la période qui précède l’entrée en lice des Etats nationaux, à moins de se contenter des versions proposées par chacune des histoires nationales, on est conduit à recourir aux données, descriptions et analyses fournies par des auteurs extérieurs. Cela vaut jusqu’à une date récente, les choses étant justement en train de changer, y compris grâce à un livre comme L’imaginaire des Balkans de M. Todorova. Cette auteure est bulgare, certes, mais son livre a été écrit en anglais aux Etats-Unis et s’inscrit dans une démarche initiée par les travaux sur l’orientalisme du Palestinien Edward Said qui enseignait également aux Etats-Unis et écrivait en anglais[4].

On ne saurait donc en vouloir à Lejean pour ses écarts stylistiques et, pour revenir au passage que nous venons de citer in extenso, on peut faire remarquer que, pour être déconcertant, il n’est pas moins saisissant pour ce qui est de la critique de l’« aristocratie » roumaine. S’il épouse certains préjugés de son temps, Lejean, qui était issu de la paysannerie bretonne, est aussi un observateur attentif et fait preuve d’une extrême honnêteté intellectuelle dans ses descriptions.
Pour compléter le tableau des Valaques, rappelons, avec Marie-Thérèse Lorain (p. 11), que Lejean a dû côtoyer à Paris les « nobles proscrits » roumains de la révolution de 1848 dans les cours de Jules Michelet au Collège de France (les frères Bratianu, Constantin Rosetti, Ion Ghica) et qu’il s’est appuyé parfois sur les travaux des « savants indigènes » de Iasi et de Bucarest (Mihail Kogalniceanu, August Troboianu Laurian, Cezar Boliac) mais aussi de Belgrade (p. 48), ce qui fait de lui un « passeur » entre « la jeune recherche scientifique balkanique et les cercles savants parisiens », pour reprendre les mots de Bernard Lory (p. 61 et 437).

Sur les routes des Balkans, d’une découverte à l’autre[5], Lejean poursuivait un but assez précis : établir une carte ethnographique de la Turquie européenne, c’est-à-dire combler les taches blanches des cartes établies par ses prédécesseurs. Elysée  Reclus l’a reprise dans sa Géographie universelle en sorte que cette carte en couleur a marqué durablement la perception de la répartition des populations dans les Balkans et joué un rôle considérable lors des négociations portant sur le partage de la région après la fin de l’Empire ottoman. Dans sa postface, Bernard Lory écrit :

« Sans le savoir, avec le désir naïf de classification de l’érudit de cabinet, Lejean contribue au processus de discrimination nationale qui va déchirer les Balkans jusqu’à nos jours. Il fournit des arguments aux tenants de l’Etat-nation qui militent pour  des territoires ethniquement homogènes et qui n’hésiteront pas à convertir, dénationaliser, déporter ou massacrer ceux qui ne rentrent pas dans le grand dessin unificateur. Par ignorance, Lejean a fait figurer de grandes zones monochromes sur sa carte, qui laissent entendre que des Etats homogènes sont facilement réalisables dans les Balkans. » (P. 440-441.)

Cette conclusion est peut-être en peu sévère pour le Lejean. En effet, en dessous de la carte publiée par Elysée Reclus figure la légende suivante : « Cette carte ne peut avoir qu’une valeur approximative. La plupart des populations de races et de langues diverses sont entremêlées et non juxtaposées. »[6]

Nicolas Trifon





[1] Voyages dans les Balkans, 1857-1870 / Guillaume Lejean ; textes édités et présentés par Marie-Thérèse Lorain et Bernard Lory. - Paris : Non lieu, 2011. - (493 p.) : ill.. - ; 24 x 16 cm. - (Via Balkanica)
[2] Roi légendaire dont les écuries étaient tellement sales qu’il était impossible d’y pénétrer.
[3] Maria Todorova, L’imaginaire des Balkans, Paris : Editions EHESS, 2011.
[4] Paru en 1997, Imagining the Balkans été traduit en 1999 en bulgare et en serbe, en 2000 en roumain et en grec, en 2001 en slovène et en macédonien, en 2003 en turc et en 2006 en albanais.
[5] Il est par exemple le premier à faire état de l’existence des Gorani, musulmans slavophones du Kosovo, qu’il a rencontrés lors de la traversée du Sar en 1869 (p. 373-374). 
[6] Nouvelle Géographie universelle. 1, L’Europe méridionale, Paris : Librairie Hachette, carte n° 24, p. 136.

Ceauşescu şi Toma Caragiu


Extras din Stăpânul secretelor lui Ceauşescu : i se spunea Machiavelli, Stefan Andrei în dialog cu Lavinia Betea, Bucureti : Editura Adevărul, 2011, p.  247 :

Altă chestiune depre cunoştiinţele lui Ceauşescu. Îi zic : « Tovarăşe Ceauşescu, să dăm mai multe gurse pentru greci şi să încurajăm venirea machedonilor în România. Între cele deouă războaie şi chiar înainte de Primul Război mondial, s-a dat oarecare importanţă românilor din Balcani. Vreo 70 000 de persoane au venit aici, în 1923, din Machedonia grecească, dar şi din Albania. Printre oamenii de valoare care se trag de acolo e şi Toma Caragiu. « Ce Toma Caragiu ? » zice Ceauşescu, părinţii lui au stat în Cadrilater, de acolo s-au mutat la Bacău, apoi la Ploieşti ». « Nu, domnule, e român », a spus apoi Pană*** Am dormit cu el în pat ».
Chiar aşa ?
O expresie. Si a doua zi merg la Pană. « Uite tovarăşe Pană, , este o carte a lui Caragiu. Povesteşte cum a plecat de acolo, cum a ajuns în Cadrilater ». Dămi-o şi mie ! Dar hai să nu-i zicem Tovarăşului, să nu-l jignim, să rămână cu încăpăţinarea lui, aşa cum crede el ». Aşa a fost şi cu altele. Cu sistematizarea satelor. (…)

*** Muncitor, studii la seral, secretar cu propaganda în capitală, s-a ocupat la început de refugiaţii greci (p. 24).

PS Desigur, intenţia fostului ministru de externe era să-şi bată joc de incultura şefului şi colegului său. Ceea ce mi se pare interesant de reţinut este că chiar şi Ceauşescu ar fi putut să încerce să joace cartea aromână în Balcani.